Discours d’Ara Toranian, coprésident du CCAF

Discours d’Ara Toranian, coprésident du CCAF

Ara Toranian, coprésident du CCAF

Le pire n’est jamais certain, dit-on, mais il peut pourtant arriver. Tout ce que nous redoutions tout ce que nous dénoncions, s’est hélas produit avec le nettoyage ethnique du Haut-Karabakh, où il ne reste désormais quasiment aucun arménien. Progressant grâce à la manne pétrolière au son des armes de la 5e génération, la marche turque a ainsi réalisé une nouvelle avancée dans un processus que l’historien Vincent Duclert ici présent, président de la commission de recherche sur le Rwanda, qualifie de génocide long. Ces événements dramatiques, dont on épargnera à notre vénérable assistance la description, donnent hélas a posteriori raison à la partie arménienne qui depuis le pogrom anti-arménien de février 1988 dans la ville azerbaïdjanaise de Soumgaït, a tenté par tous les moyens de renverser le destin funeste que lui promettait le régime Aliev. Finalement en vain. Ainsi, cette terre d’Artsakh où les Arméniens ont construit leur histoire pendant 2 500 ans, n’entendra plus jamais ses habitants prier dieu dans leurs églises, elle ne verra plus jamais ses enfants apprendre l’alphabet de Mersrop Machtots dans leurs écoles, elle ne les écoutera plus entonner les chants sacrés de Komitas inscrits au patrimoine mondial de l’humanité, ni glorifier les noms des héros du mouvement armenophile, de jean Jaurès a Charles Peggy, d’Anatole France à Pierre Quillard en passant par Georges Clemenceau ou Francis de Pressensé dans le centre culturel Paul Eluard de Stepanakert. Et l’humanité désapprendra très vite que prospérait sur ces terres une civilisation chrétienne qui y avait bâti une démocratie, comme elle ignore tout de son existence multimillenaire dans les territoires situés aujourd’hui au Nakhitchevan devenu Azerbaijanais en même temps que le Haut karabagh, par la grâce de Staline, où ils sont passés de 55% à 0% de la population. Et ce sans parler ce soir de la Turquie qui en même temps qu’elle s’acharne contre les Kurdes et poursuit son occupation de Chypre, s’évertue depuis 100 ans à effacer toute trace de la présence culturelle des Arméniens, après avoir procédé à leur suppression physique en 1915. Un million et demi d’Arméniens exterminés durant le génocide, auxquels s’ajoutent 600 000 Grecs et Assyro-Chaldéens assassinés. En toute impunité. Un bel exemple gagnant pour l’armée azerbaïdjanaise qui a réussi l’exploit guerrier de démolir le 26 février la statue de Charles Aznavour à Stepanakert, dans un geste également anti-français qui en dit long, avant de raser le 4 mars le bâtiment du Parlement d’Artsakh, symbole de la démocratie en cette région submergé par le totalitarisme. Mais rien de grave. Le régime d’Aliev a appris de l’exemple turc que le crime était payant. Et il pourra parader sous les spotlights lors de la cop29, événement mondial prestigieux qui démarrera à Bakou le 11 novembre 2024. Nous en sommes donc à nouveau là, après un drame et déjà à l’annonce d’un autre, comme depuis 130 ans. La prochaine étape ? le sud convoité du pays, verrou stratégique qui fait obstacle à la continuité territoriale panturque et bloque matériellement le grand retour de l’Empire ottoman rénové, de la Méditerranée jusqu’à la muraille de chine, selon l’expression de l’ancien président turc Suleyman Démirel. Face à ces vents violents et en tension avec la Russie depuis la révolution de velours de 2018, l’Arménie a décidé de s’ouvrir sur l’occident pour garantir sa sécurité. Une stratégie en cohérence avec son nouveau paradigme démocratique, qui l’a conduit à renouer avec son tropisme culturel pro-européen forgé en profondeur par ses siècles de présence au bord de la Méditerranée, avant qu’elle n’en soit effacée. Une période historique multiséculaire dont la mémoire a survécu à 80 ans de chape de plomb soviétique. Au cœur de ce tournant, toute sa problématique stratégique tourne aujourd’hui autour de la question de savoir si le soleil se lèvera à l’ouest pour l’Arménie, ou si l’Occident fantasmé ratera son rendez-vous avec l’histoire. « On rencontre sa destinée souvent par les chemins que l’on prend pour l’éviter », écrivait Jean de La Fontaine. Des vers qui invitent à la méditation, à l’heure où avec le recul des démocraties, sauf justement en Arménie, l’alignement des planètes n’a rien de rassurant. Et pourtant. Et pourtant nous sommes là. Et pourtant, l’Arménie envisage de poser sa candidature à l’Union européenne tandis que parallèlement l’assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe décidait le 24 janvier d’exclure l’Azerbaïdjan de son hémicycle. Et pourtant, dans la foulée de cette fierté grandiose que fut pour les Français d’origine arménienne la Pantheonisation de Missak Manouchian- merci monsieur le président de la République !- un avion-cargo a pour la première fois dans l’histoire transporté un ministre de la Défense français en Arménie pour y livrer un premier convoi de matériel militaire, sous son commandement. Merci Monsieur Le Cornu. Et pourtant, notre chère maire de Paris, Anne Hidalgo, a trouvé le temps la force et la volonté de tenter de franchir le corridor de Lachine, le 31 aout dernier, à la tête d’un attelage politique pluriel, mais mue par une même arménophilie, ou l’on retrouvait Xavier Bertrand, Bruneau Retailleau, Jeanne Barséguian, Michèle Rubirola, Patrick Karam, qui ont succédé sur les mêmes lieux, à Valérie Pecresse, Laurent Wauquiez et François Xavier Bellamy. Merci à nos soutiens ici présents aujourd’hui. Mesdames et messieurs, intellectuels président d’association élus, journalistes, militants que je peux tous ici nommés, par votre action, vous incarnez la dynamique de ce nouveau paradigme, qui repond non seulement au besoin de France de l’Arménie, évident, mais qui exprime aussi le besoin d’Arménie pour la France. En termes de valeurs, parce que l’âme arménienne est chevillée au cœur de la République, parce que les plus grands noms de la patrie des droits de l’Homme ont été historiquement attachés à sa défense. Besoin d’Arménie, parce que la quête de liberté de ce peuple monde de la longue durée, qui a traversé comme les Juifs le temps et l’espace, incarne et fait rayonner sur toute la planète ses valeurs. Parce que oui, la devise française pourrait être sans aucun problème celle de l’Arménie, ce qui est loin d’être vrai pour tous ses voisins. Besoin français aussi de l’Arménie, en matière stratégique, parce que si la République perd des marges en Afrique, elle en gagne dans la « diplomatie de relais », en Arménie, comme en Géorgie ou au Liban. Qu’en tant que territoire de transit nord-sud et Est-Ouest, le passage par l’Arménie constitue la route la plus courte entre l’Europe et l’indo pacifique. Et que son partenariat militaro-politique avec l’Inde entre en résonance avec les intérêts stratégiques de la France, comme l’a symbolisé la présence du Premier ministre indien Narendra Modi au dernier défilé du 14 juillet. Alors, pour paraphraser la célèbre formule d’un grand écrivain américain, même si les choses sont sans espoir, il faut faire l’impossible pour les changer. C’est le dernier défi de l’Arménie. Il est existentiel. Essayons d’en être digne, essayons d’en être à la hauteur. JPEG - 2.7 Mo

par capucine le jeudi 21 mars 2024

Serge Tateossian Le 21/03/2024 Source :