VIGNOBLE : En Arménie, un vignoble sous pression et porté par la diaspora

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Serge Ghoukassian, restaurateur à Carpentras (Vaucluse).

Le vin arménien revient de loin, de très loin même, puisqu’il dispute à la Géorgie le statut de vignoble le plus ancien au monde. Durant des siècles, le pays avait la réputation de produire surtout une excellente eau-de-vie. Staline aurait dit : « La Géorgie, c’est le vin, et l’Arménie, le cognac », terme qui désignait alors le brandy. « C’était le cognac préféré de Churchill », précise le sommelier Serge Ghoukassian, restaurateur à Carpentras (Vaucluse) et infatigable ambassadeur des vins arméniens.

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Tout s’est inversé durant les quarante dernières années : aujourd’hui, la production représente le double de celle d’eau-de-vie. Ce bouleversement s’est néanmoins accompagné d’un déclin. Le vignoble, qui occupait 30 000 hectares au début des années 1960 – une superficie importante pour un pays de moins de 30 000 km2 – est tombé à 12 000 ha au début des années 1990. L’Union soviétique, notamment sous Gorbatchev, a favorisé cette chute en privilégiant la lutte contre l’alcoolisme, surtout contre la consommation d’alcools forts.

Manque de professionnalisation

L’indépendance du pays, en 1991, n’y a rien changé. La « reconquête » du vignoble a commencé au milieu des années 2000 pour atteindre 17 000 ha en 2012. Mais, depuis, le mouvement stagne, en raison de conflits avec l’Azerbaïdjan et la Turquie, deux voisins hostiles. Ainsi, le domaine Kataro, qui gagnait une certaine réputation internationale, est devenu turc il y a deux ans.

Selon Serge Ghoukassian, le manque de professionnalisation constitue un autre frein pour le vignoble. Il y a dix ans à peine, nombre de paysans produisaient du vin au sein d’une polyculture. L’absence d’appellations pénalise aussi le pays. Pour y remédier, la région Rhône-Alpes et l’université du vin, à Suze-la-Rousse (Drôme), ont récemment diligenté une mission pour identifier différents terroirs.

Malgré tout, l’Arménie produit des vins magnifiques, essentiellement dans la vallée d’Ararat, où sont cultivés des cépages autochtones, rouges et blancs, autour de villages : Areni, d’abord (également le nom du principal cépage local), lié par un pacte d’amitié avec Bandol (Var), et puis Malishka, Elpin ou Rind. « Le vignoble arménien a pour atout unique d’être planté en franc de pied [non greffé], car il n’a pas connu le phylloxéra qui a ravagé la vigne en Europe au XIXe siècle », explique Serge Ghoukassian.

Sur tous les continents

Le renouveau doit beaucoup à des Arméniens de la diaspora (12 millions de personnes, contre 3 millions habitant le pays), qui, tout en s’appuyant sur des terroirs historiques, favorisent une nouvelle viticulture dans des petits domaines émergents qui constituent « de très belles réussites ». Le sommelier cite Varuzhan Mouradian, revenu de Californie en 2010 pour créer la Van Ardi Winery avec sa famille. Ou Zorik Gharibian, qui remet sur pied depuis 2006 le vignoble d’un monastère du XIIIe siècle, Zorah, situé à 1 400 mètres d’altitude sur le mont Ararat.

La réputation des vins arméniens s’étend sur tous les continents (la Corée du Sud, le Vietnam et le Japon sont trois nouveaux clients depuis 2021). Reste que, pour des raisons politiques, la Russie accapare 75 % des exportations, très largement devant les Etats-Unis (5,2 %) et la Chine (2,7 %). Cette dépendance est une fragilité pour un pays qui, comme d’autres autour de lui, regarde ailleurs.

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C’est ainsi que l’Etat arménien a soutenu la création, à Berlin en décembre 2021, de la plate-forme Winesofarmenia. store, à découvrir en anglais, français et allemand, qui propose 56 crus issus de 21 domaines aux pays de l’Union européenne.

En France, on trouve les bouteilles de Zorah chez Valade & Transandine, société spécialisée dans l’importation de vins étrangers. Et on peut faire le voyage à Carpentras, chez Serge Ghoukassian, dont la riche carte propose les vins des domaines ArmAs, Van Ardi ou Noravank.

Laure Gasparotto