Les époux Baudot, héros du patrimoine, figures de proue des commémoration du 8-Mai à Évreux

Les époux Baudot, héros du patrimoine, figures de proue des commémoration du 8-Mai à Évreux
Anne et Marcel Baudot se retrouvent sur le devant de la scène pour les 80 ans du 8-Mai. Figures d’Évreux, ils ont protégé le patrimoine départemental au péril de leur vie.
Marcel et Anne Baudot, vers 1925. ©Archives départementales de l’Eure/29Fi 1 et 2
Par **Cyrill Roy**Publié le 9 mai 2025 à 11h04
 Évreux, les époux Baudot sont le fil rouge des commémorations, que cela soit pour les 80 ans de la Libération, à l’été 2024, ou pour ceux de la fin de la Seconde Guerre mondiale en Europe, ce jeudi 8 mai 2025. Il faut dire que le combat de ces figures ébroïciennes inspire et résonne toujours en 2025. Peut-être d’ailleurs plus que jamais en ces temps troublés. « Il y a peu de femmes qui ont eu pendant la guerre un tel rôle pour protéger le patrimoine face à des totalitarismes », resitue Élodie Bocquet, cheffe du service Archives et patrimoine à Évreux.
À lire aussi
L’historienne se projette d’autant plus dans les faits d’armes d’Anne et de Marcel Baudot qu’elle est elle-même professionnelle de la conservation du patrimoine.
Le patrimoine est toujours une cible dans la volonté d’acculturation d’un peuple. S’il n’y a pas des gens qui luttent pour sauver une culture, elle disparaît. Ce sont toujours les mêmes mécanismes. En Ukraine, par exemple, on voit bien que ce que veut la Russie, c’est re-russifier cette partie de l’Ukraine qu’elle considère comme lui appartenant. La première chose, c’est d’attaquer les hommes. La deuxième, c’est d’essayer d’imposer sa vision de l’histoire et de la culture et de faire disparaître ce qui fait nation dans le peuple conquis.
Élodie Bocquet, cheffe du service Archives et patrimoine à Évreux
Rien d’étonnant, donc, à ce que l’Ukraine ait demandé de l’aide au Louvre pour protéger, notamment, ses précieuses icônes dès le début des bombardements.
Sur les bancs de l’école
Héros locaux, Anne Lemerle et Marcel Baudot ne sont pourtant pas d’origine ébroïcienne. Lui est parisien, elle vient d’Auvergne. Leur parcours est celui de l’élite intellectuelle de l’époque : de grandes études qui se concluent à la prestigieuse école des Chartes, qui forme les futurs conservateurs du patrimoine. Le couple Baudot naît sur les bancs de l’école. « Marcel dit qu’en toute logique, comme il n’y avait pas beaucoup de filles dans sa classe, il est tombé amoureux d’Anne. Ils étaient des bons camarades », s’amuse Élodie Bocquet qui, en lisant les écrits d’Anne et de Marcel Baudot, a appris à les connaître d’une certaine manière. Anne semblait « réservée » tandis que Marcel adoptait généralement « un ton goguenard ».
Vidéos : en ce moment sur Actu
À lire aussi
Tous les deux se marient à la sortie de l’école. Lui est nommé directeur des archives départementales de l’Eure. et les époux vont s’installer à Évreux en 1925. Rapidement, le bibliothécaire de la ville prend sa retraite. Une aubaine pour Anne qui prend la suite et est désormais en charge des archives municipales, de la bibliothèque et du musée.
La famille Baudot dans les années 1930. ©AD27
En 1937, la ville demande à Anne d’installer la bibliothèque dans le Pavillon Fleuri. Les étages de l’édifice deviennent le logement de fonction de la famille dès 1938, « ce qui va beaucoup faciliter la vie d’Anne », souligne Élodie Bocquet. Lorsque les archives sont rapatriées de l’Hôtel de Ville au Pavillon Fleuri, tout est à proximité.
Évacuer le patrimoine eurois
En août 1939, Anne Baudot donne naissance à son septième enfant. Dans le même temps, alors que le contexte international est plus qu’explosif, le plan de sauvegarde et d’évacuation des œuvres est déclenché. Le Louvre est, ainsi, évacué à Chambord. À Évreux, Anne et Marcel Baudot évacuent les trésors patrimoniaux vers le château de la Ronce, à Fontaine-sous-Jouy. En septembre 1939, même les vitraux de la cathédrale sont évacués à la Ronce.
À lire aussi
Au fur et à mesure que les troupes allemandes approchent d’Évreux, l’évacuation des livres, œuvres et archives se fait plus pressante. « L’Eure va être envahie, alors il faut penser à évacuer. Il y a ce qui va être transportable ou ce qui ne peut pas l’être car trop fragile. Ils profitent d’un train qui part de Seine-Maritime, arrivent à négocier pour qu’il s’arrête dans l’Eure et raccrochent six wagons pour que tout arrive dans le donjon de Niort. C’est comme ça que tous les trésors patrimoniaux de l’Eure sont conditionnés et évacués, avec Anne, Marcel et les sept enfants, depuis la gare de Bacquepuis », rappelle Élodie Bocquet.
À lire aussi
Anne et Marcel Baudot sont des héros du patrimoine. Mais leur action ne peut pas être limitée à celle de « résistants de salon », un reproche qui leur a parfois été fait à Évreux, précise la cheffe du service Archives et patrimoine. Quand la guerre éclate en septembre 1939, Marcel, père de sept enfants, n’est pas mobilisé. Mais il rédige des bulletins d’informations pour lutter contre la propagande des Nazis et fait remonter des informations stratégiques. « Ils ont fait un combat armé. Ils ont pris des risques. Marcel a été chef d’un réseau et a dirigé les 5 000 résistants eurois. Anne a joué le rôle fondamental d’agent de liaison, faisant le lien en passant les consignes de Marcel dans tout le département. »
La figure d’Anne prend de l’ampleur
Redonner sa place à Anne Baudot a été l’un des enjeux des différentes commémorations. Comme un heureux hasard, trois femmes sont à la tête de la bibliothèque patrimoniale, du musée et du service Archives et patrimoine. Alors qu’elles s’intéressaient d’abord au bien connu Marcel Baudot, la figure d’Anne a refait surface. « Tout est parti de la redécouverte de son journal professionnel à la bibliothèque patrimoniale. En suivant le fil dans les trois fonds qu’elle gérait, on a commencé à comprendre qu’elle avait fait bien plus que son boulot pour protéger le patrimoine », développe Élodie Bocquet. À force de ruses, comme un faux mur, elle soustrait les documents aux tentatives de spoliation.
Elle va aussi échouer : quand vous êtes face à l’armée allemande, qui vient dans la bibliothèque pour retirer les livres interdits, vous ne pouvez pas vous y opposer. Comme ça lui est arrivé une fois, elle va inventer des stratégies pour que le moins possible du patrimoine qu’on lui a confié soit pris.
Élodie Bocquet, cheffe du service Archives et patrimoine à Évreux
En étudiant de près la vie d’Anne Baudot, Élodie Bocquet a fait la connaissance d’une femme « d’une rigueur intellectuelle, mais aussi capable de transgressions incroyables ». Ainsi, quand les Italiens subissent un revers, elle fait défiler ses enfants dans tout Évreux avec des colliers de macaronis, sous le nez des officiers allemands. Un exemple de combat silencieux.
La carte de combattant volontaire de la résistance d’Anne Baudot, 1955. ©Evreux, Musée d’Art, Histoire et Archéologie, Fonds documentaire
Des anecdotes dignes d’un roman comme celles-ci, la vie du couple Baudot en fourmille. Pourtant, comme beaucoup de résistants, les époux sont passés à autre chose une fois la guerre terminée. « Ils sont repartis dans leurs métiers, ne se sont pas lancés en politique et n’ont pas parlé beaucoup avec leurs propres enfants de ce qu’ils ont fait. Pour la plupart, dans la famille Baudot, ils apprennent l’essentiel des choses maintenant », pointe Élodie Bocquet. Leur histoire tend désormais à être bien plus connue, que cela soit à travers le documentaire Anne et Marcel Baudot, au nom de l’Histoire (disponible sur france.tv) ou la bande dessinée (lire l’encadré) qui s’adresse au grand public. « Les résistances intellectuelles ont joué dans le combat, c’est évident », insiste Élodie Bocquet.
La bande dessinée consacrée à la vie d’Anne et Marcel Baudot sera présentée ce 8 mai à Évreux. ©Editions Varou
Au cœur d’une BD
Le 80e anniversaire de la capitulation allemande sera l’occasion de lancer la bande dessinée consacrée aux époux Baudot, Résistants par l’esprit et les armes (ou Les résistants du Pavillon Fleuri pour l’édition limitée " 80e anniversaire " réalisée pour la Ville). L’ouvrage de 52 pages, commandé aux éditions Varou par la Ville d’Évreux " afin de mettre en lumière l’action résistante d’Anne et Marcel Baudot durant le conflit “, a été écrit par Céka et Wallace, dessiné par Salvo et mis en couleur par François Fleury.
Les scénaristes ont pu compter sur les recherches scientifiques menées par les archives municipales et la bibliothèque patrimoniale d’Évreux. Pour la réalisation du cahier historique inclus dans la BD, Élodie Bocquet (cheffe du service Archives et patrimoine) a collecté le témoignage de Michel Baudot, fils aîné d’Anne et Marcel, âgé aujourd’hui de 98 ans et que l’on retrouve dans le livre.
" Ce n’est pas seulement une bande dessinée, c’est aussi un outil pédagogique visant à sensibiliser les jeunes générations et le grand public à l’importance de bien connaître l’histoire locale “, envisage la Ville. En partenariat avec des écoles, des musées, des archives et des bibliothèques d’Évreux, des ateliers et des conférences seront organisés pour approfondir la connaissance de la Résistance locale.
La BD sera en vente (15 €) dans sa version " édition limitée 80e anniversaire " dès le 9 mai à la Médiathèque Rolland-Plaisance, à la boutique du Musée et à la boutique du Comptoir des Loisirs. Elle sera en vente chez Cultura, Gibert et BDLib dans une autre version également le 9 mai. Au niveau national et en Belgique, on pourra l’acheter à partir du 1er septembre.
Une exposition consacrée à la BD est présentée au 1er étage de la médiathèque. La salle d’exposition (N-1) accueillera jusqu’au 21 septembre la partie de l’exposition " Patrimoines en guerre, sauver un peu de la beauté du monde " consacrée à Anne Baudot, " bibliothécaire engagée “.
Serge Tateossian 11/05/2025 Source : Actu.fr Normandie