En France, les irréductibles soutiens politiques de l’Azerbaïdjan

En France, les irréductibles soutiens politiques de l’Azerbaïdjan

L’autocratie pétrolière, régulièrement mise en cause par les organisations de défense des droits humains, s’appuie toujours sur les relais de quelques élus au Parlement pour redorer son blason et pousser ses éléments de langage dans le conflit avec l’Arménie.

Youmni Kezzouf

4 octobre 2023 à 19h26

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Le 15 novembre 2022 au Sénat, une proposition de résolution transpartisane visant à « appliquer des sanctions à l’encontre de l’Azerbaïdjan et exiger son retrait immédiat du territoire arménien », cosignée par tous les groupes, était adoptée à la quasi-unanimité. Ce jour-là, une seule sénatrice avait voté contre : Nathalie Goulet.

Deux ans plus tôt, au lendemain du cessez-le-feu qui mettait un terme à six semaines de combats meurtriers entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan, la sénatrice centriste avait déjà été la seule à s’opposer à une résolution qui prenait acte de la « nécessité de reconnaître la République du Haut-Karabagh ». Elle avait alors expliqué que même « sur [son] lit de mort, [elle] voterait contre ce type de résolution ».


https://www.armenews.com/spip.php?page=article&id_article=112085


Nathalie Goulet défend depuis fort longtemps le régime autoritaire d’Ilham Aliyev. Avec quelques autres parlementaires, elle fait partie des relais médiatiques de l’influence azerbaïdjanaise en France, qui prend forme au sein des groupes d’amitié France-Azerbaïdjan à l’Assemblée nationale et France-Caucase au Sénat, appuyés par quelques associations.

En 2017, l’Organized Crime and Corruption Reporting Project (OCCRP) et une dizaine de médias européens, dont* Le Monde,* avaient enquêté sur les dessous de la « diplomatie du caviar » menée par l’Azerbaïdjan en Europe. L’étude de relevés de comptes de sociétés liées au régime azerbaïdjanais avait mis au jour plusieurs transactions destinées à des responsables politiques européens, pour influencer des votes ou promouvoir le pays. À l’issue d’un rapport interne, 14 membres de l’assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe avaient été exclus à vie de l’institution.

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Rachida Dati, Jérôme Lambert, Nathalie Goulet et André Villiers. © Photomontage Mediapart avec AFP et SIPA

Aucun élu français n’était concerné par ces transactions financières, mais l’Azerbaïdjan a tout de même multiplié les cadeaux et les invitations à des voyages, afin de promouvoir l’image d’un pays moderne et tolérant, à rebours de la réalité des droits humains sur place. Régulièrement invitée à Bakou, Nathalie Goulet avait été interrogée par les équipes de « Cash Investigation » en marge d’un voyage officiel de François Hollande en 2014. « Le pays est moderne et laïc, quand vous vous promenez dans la rue il n’y a pas de femmes voilées », assurait-elle, avant de concéder : « Tout le monde sait qu’en matière de droits de l’homme, il y a encore des progrès à faire. »

Le régime de l’autocrate Aliyev a su se montrer généreux avec la circonscription de la sénatrice centriste, en finançant la réfection de nombreuses églises de l’Orne via la Fondation Heydar Aliyev, dirigée par la première dame et vice-présidente de l’Azerbaïdjan, Mehriban Aliyeva.

Le 29 septembre 2023, quelques jours après l’offensive éclair de l’armée azerbaïdjanaise dans le Haut-Karabagh, Nathalie Goulet écrivait sur X à propos des dizaines de milliers de réfugié·es qui fuient la région vers l’Arménie : « Personne ne les force à partir, ils peuvent rester. » Contactée, elle n’a pas souhaité s’exprimer sur ses rapports avec l’Azerbaïdjan.

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La grande majorité des élu·es de la droite française sont des soutiens affichés de la cause arménienne, comme l’a récemment illustré une tribune signée par de nombreux poids lourds du parti Les Républicains (LR) dans Le Figaro. À rebours, quelques député·es de la droite et du centre continuent de défendre l’Azerbaïdjan et son régime. C’est notamment le cas de l’élu Horizons André Villiers, membre du groupe d’amitié à l’Assemblée et – à l’époque des révélations sur la diplomatie du caviar – du conseil d’administration de l’Association des amis de l’Azerbaïdjan (AAA).

Figures de la droite française

Au Palais-Bourbon, le groupe d’amitié France-Azerbaïdjan est, depuis le 29 septembre, en sommeil. Le député Renaissance Bertrand Sorre avait annoncé ce jour-là la démission des élu·es de son parti en réaction à l’offensive dans le Haut-Karabagh. « Le fait qu’un État décide de s’approprier un territoire, d’attaquer de façon armée, c’est une ligne rouge, justifie-t-il à Mediapart. Je ne concevais plus de travailler avec des parlementaires azerbaïdjanais qui, de fait, cautionnent cette agression. »

Le président LR du groupe d’amitié, Pierre Vatin, avait donc décidé dans la foulée de suspendre les activités du groupe. Sur le site de l’Assemblée, celui-ci ne compte plus que cinq membres, dont Meyer Habib, proche du premier ministre israélien Benyamin Nétanyahou, allié de l’Azerbaïdjan, et André Villiers, qui n’a pas répondu à nos sollicitations.

Agriculteur de profession, lui aussi régulièrement invité à Bakou, le député a fait profiter les éleveurs de son département de ses relations avec le pays du Caucase : un contrat pour vendre un millier de vaches icaunaises à l’Azerbaïdjan a même été signé en 2011. Quelques années plus tard, alors que le pays attaquait pour diffamation les journalistes de France 2 qui l’avaient qualifié de « dictature », André Villiers faisait partie des élu·es venu·es témoigner en faveur de l’Azerbaïdjan.

Celui qui considère le pays comme « l’un des meilleurs exemples de tolérance dans le monde », passant sous silence le non-respect des droits humains ou de la liberté de la presse, avait tenté, devant les tribunaux, de redorer le blason du pays – le tribunal avait finalement relaxé les journalistes, estimant qu’un État n’est pas recevable à agir sur le fondement de la loi sur la presse.

Au sein de l’AAA, André Villiers a côtoyé plusieurs autres figures de la droite française. Longtemps présidée par l’ancien député LR Jean-François Mancel, la structure a compté, dans son conseil d’administration, les anciens ministres sarkozystes Jean-Marie Bockel, Thierry Mariani – depuis passé au Rassemblement national (RN) – et Rachida Dati.

En 2017, après avoir officiellement approuvé l’ouverture d’une enquête sur l’influence de l’Azerbaïdjan au Parlement européen, la maire du VIIe arrondissement de Paris avait ensuite invoqué une erreur et transformé son vote afin de s’opposer a posteriori à l’initiative. En 2011 déjà, elle organisait dans les jardins du musée Rodin un dîner de gala aux côtés de la première dame Mehriban Aliyeva pour vanter les mérites de l’Azerbaïdjan.

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L’association est désormais présidée par l’ancien député socialiste Jérôme Lambert. Cet autre habitué des visites à Bakou s’était aussi rendu en Crimée en 2016, aux côtés de Thierry Mariani, et y avait salué la tenue du référendum : « Les habitants de ce pays sont manifestement heureux d’avoir pu rejoindre la Russie. Le droit au référendum est reconnu en Europe », avait-il dit.

Quelques mois plus tôt, il faisait partie des députés socialistes qui s’étaient rendus en Syrie, pour plaider le dialogue avec Bachar al-Assad. En réaction à l’offensive azerbaïdjanaise du 19 septembre, Jérôme Lambert a publié un communiqué saluant « une intervention justifiée »,face aux « forces extrémistes arméniennes » qui agissent « contre la paix ».

Youmni Kezzouf

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Serge Tateossian le 27/01/2024 Source : Mediapart